Ces jolis mots m’ont touchée en plein coeur la première fois que je les ai entendus. Je regardais un épisode de Chef’s Table sur Netflix, pour occuper une pause déjeuner pluvieuse, et cette réflexion a immédiatement fait écho dans ma caboche. J’ai jeté un oeil à mon balcon d’hiver, rempli de feuilles mortes, de tiges sèches et brindilles marron. Ici et là, quelques feuilles mâchonnées méthodiquement par des chenilles montraient leurs trous, comme une dentelle irrégulière. Cela faisait bien deux semaines que je regardais cette vue avec une obsession en tête : dès qu’il arrête de pleuvoir, je m’occupe enfin de nettoyer tout ça.
Et puis les mots de Jeong-Kwan m’ont fait changer d’avis. Sous les feuilles mortes, les brindilles et les trous de chenilles de mon petit jardin naturel, les plantes continuaient leur petite vie.
Qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il vente. En sommeil mais bien vivantes, reconstituant leurs réserves d’énergie pour le retour des beaux jours.
Et moi, je voulais tout nettoyer, pour que ce soit bien net, bien carré. Pas de terre qui déborde, pas de paillage tombé sur le sol, pas de feuilles mortes sur le fauteuil ou d’inflorescence jaunie au milieu du jardin. Pourtant, il suffisait que je m’arrête deux minutes pour me rendre compte à quel point cette manière de faire était destructrice, pour moi comme pour mon petit jardin perché.
Photographie par Petites Garrigues
Construire un espace résilient avec un jardin naturel
Un jardin naturel est un univers miniature
Quand on créé un jardin, on créé un mini-monde. Et c’est aussi vrai – bien que moins évident et plus délicat – dans le cas des jardins en pots.
Les échanges naturels qui existent dans le sol, en pleine terre, ne peuvent pas avoir lieu. Pas d’armée de vers de terre pour creuser des galeries et aérer le sol, pas de racines déjà existantes pour donner à la terre une structure et échanger avec elle des nutriments. On a notre pot, notre sac de terreau, nos plantes, et c’est tout : c’est à nous de créer ce nouveau petit écosystème, d’y inviter la vie et de faire en sorte qu’elle y trouve son compte.
Et pour que la vie se plaise dans votre jardin en pot, il lui faut de quoi se contenter : des brindilles pour les nids des oiseaux, des pucerons pour nourrir les coccinelles, des chenilles pour tout un tas de petits prédateurs. Des feuilles mortes pour nourrir les bactéries du sol, des graines, des pousses tendres, des fleurs.
Pendant un moment, je paniquais dès que je voyais une tâche sur une feuille ou une marque sur un tronc. Recherche frénétique sur internet, mon érable est-il en train de mourir ? Mes heures passées à scroller sur les forums m’ont appris qu’en matière de santé végétale comme en matière de santé humaine, le catastrophisme l’emporte toujours. C’est sûr, cette fois-ci c’est certain, c’est cette maladie incurable qui affecte mon jasmin. Que faire ? Couper les branches concernées ? Traiter à coup de Solabiol ? Un coup de savon noir peut-être, ou de vinaigre blanc, c’est naturel ça ne peut pas faire de mal.
Pourtant, au fil du temps, je me suis aperçue que moins j’en faisais, mieux mon jardin en pot se portait.
Se lâcher la grappe… Et celle de son petit jardin
Bien sûr, j’ai perdu des plantes dans la bataille. Des oeillets desséchés, un romarin et une lavande morts de soif (et oui), des graminées jaunes, des semis qui n’ont jamais pris, un jasmin qui a manqué d’y passer : la liste est longue. Chaque retour de vacances, le bilan de mes victimes vertes s’alourdit.
Mais d’autres s’épanouissent, et croissent, et vivent bienheureuses dans leurs pots. Celles-ci ont appris la résilience et ne craignent plus les deux semaines de congés annuels sans arrosage. Mes hostas, pourtant normalement habituées à des sols frais, ne sourcillent plus d’un poil quand la chaleur revient et que le soleil tape. Mon jasmin étoilé est revenu d’entre les morts pour m’offrir cette année sa plus belle floraison parfumée. Et l’érable, atteint par un oïdium puis déterré à moitié par mon chien un beau soir d’été où il s’ennuyait, a fini par vaincre et revenir, plus beau, plus rouge et plus fort.
Ce qui a fait la différence ? Le temps, et le lâcher-prise (le mien).
Une coccinelle sur mon balcon, en pleine chasse aux pucerons – Photographie par Petites Garrigues
L’érable acheté à moitié desséché en soldes, malade et victime des crocs de mon chien, un an après avoir récupéré ses forces – Photographie par Petites Garrigues
Construire la résilience sans forcer
S’il y a bien une chose qu’un jardin nous apprend, c’est l’humilité. On ne peut pas tout contrôler. D’ailleurs disons-le très franchement, on ne contrôle pas grand chose dans un jardin.
En tant que jardiniers, apprentis ou experts, nous n’avons pas d’autre rôle que d’essayer et guider. Observer pour comprendre, et tenter à nouveau, voilà ce que c’est, pour moi, jardiner.
Et c’est toute la beauté d’un jardin naturel. On facilite le retour de la nature dans un espace, mais on doit ensuite s’incliner pour la laisser faire. Au bout de trois tentatives différentes, j’ai renoncé à avoir un romarin sur mon balcon. Cette plante pourtant simplissime à cultiver ailleurs n’avait pas assez de lumière, et je n’y peux strictement rien.
J’ai arrêté de vouloir forcer, et j’ai commencé à laisser la nature m’apprendre ce qui allait fonctionner ou non. C’est comme ça que j’ai construit mon petit jardin naturel en pot, vert toute l’année, fort et résilient, résistant à la sécheresse et facile à entretenir… Et que j’applique cette philosophie pour tous les gens qui me font confiance pour transformer leur balcon en un petit jardin naturel.
Comment créer un jardin naturel ?
Respecter la nature et créer un jardin naturel, ça veut dire quoi ?
D’abord, c’est prendre des décisions dès le début : pas d’insecticide, pas d’engrais chimique, et le minimum de chez minimum d’intervention. Oui à l’arrosage (obligatoire pour les plantes en pot) mais à condition de veiller à le limiter au maximum.
Oui au compost (même acheté dans le commerce si on ne peut pas le faire soi-même) et au paillage. Planter en remplissant chaque centimètre carré, intégrer des plantes couvre-sol pour protéger la terre. Prévoir des plantes mellifères, et si possible qui fleurissent à des moments différents, pour assurer du pollen aussi longtemps que possible pour les petits butineurs.
Et puis opter pour le laisser-faire : les feuilles qui sèchent, les tiges toutes cassantes, les brindilles. Nettoyer seulement de temps en temps, et laisser le vent et la magie de la décomposition faire le reste.
Observer, enfin : quelle plante est malade ou meurt, pour quelle raison… Et plutôt que de s’acharner, la remplacer pour une alternative plus adaptée. Le romarin n’a pas pris faute de soleil et de lumière ? J’y ai substitué une graminée de mi-ombre, adaptée aux endroits moins lumineux et aux sols plus frais.
En fait, en regardant mon petit jardin perché comme un mini-monde à explorer plutôt que comme une autre responsabilité à ajouter à ma to-do list du jour, j’ai re-découvert le plaisir des petites choses.
Photographie par Petites Garrigues
Photographie par Petites Garrigues
Apprendre à apprécier les imperfections d’un jardin naturel
Réussir à transmettre cette philosophie, ce n’est pas toujours facile. Je dirais même qu’il s’agit de mon principal challenge.
Souvent, les personnes avec lesquelles je travaille ont peur de tuer leurs plantes. Elles en ont tué un paquet avant de venir me voir, et même si le taux de pertes diminue drastiquement en travaillant avec moi, je ne peux jamais leur promettre qu’aucune plante ne mourra. Je ne peux pas leur promettre un jardin toujours vert, toujours fleuri, sans entretien et facile à nettoyer. Il n’existe pas, ce jardin parfait.
Il y aura toujours une plante un peu moins jolie, une feuille biscornue ou des branches un peu sèches. Même les plus beaux jardins du monde comportent une part d’imperfection.
Alors c’est quelque chose dont je leur parle. Je veille toujours à les accompagner, à les rassurer, à répondre à leurs questions sur l’état de santé de leurs plantes dès qu’ils en ont. Et surtout, je les encourage à passer du temps dans leur petit jardin, pour y remarquer les détails que j’ai incorporés parfois sans qu’ils s’en aperçoivent. En espérant qu’ils profitent pleinement de cet espace pour décompresser, pour lâcher prise… Et pas pour se créer une nouvelle corvée à faire, une nouvelle pression à gérer.
Faire appel aux souvenirs
Mes meilleurs alliés pour ce faire, ce sont leurs bons souvenirs liés de près ou de loin au jardin.
Par exemple, quand un de mes client mentionne des étoiles dans les yeux un voyage mémorable, je sais que l’odeur d’une plante venant de là-bas le transportera dans des souvenirs chéris chaque fois qu’il passera sa porte-vitrée.
Un érable pour rappeler le voyage au Japon, une palette de couleurs blanche et bleue pour évoquer le souvenir des vacances en Grèce. Un romarin, le fameux, planté dans un joli pot en terre cuite, qui ne manque jamais de donner des envies de barbecue dès que l’été approche et que son parfum embaume les mains qui s’en approchent.
Pour moi, c’est l’odeur de l’eau sur la terre chaude le soir, et les fraises dégustées tièdes après une journée caniculaire.
Un jardin naturel = un espace personnel
En fait, un jardin naturel, c’est surtout un jardin personnel. C’est un espace en-dehors du stress et de la pression, sans obligation de succès, juste dédié à nous faire du bien.
Qu’il s’agisse d’un balcon de 4m2 ou d’un rooftop de 30m2, peu importe. L’essentiel est là, dans les choix des plantes, la matière et la couleur des pots, le parfum et le toucher.
Mon jardin perché, aussi petit soit-il, ne manque jamais de me transporter dans un univers qui m’est propre, qui m’apaise. Je m’y sens bien parce que je peux y lâcher prise sereinement. Je vois les feuilles attaquées par les chenilles continuer fièrement leur croissance, leurs petits trous dentelés laissant passer la lumière. Les bourgeons qui grandissent, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige ou fasse soleil. Les arbustes aux feuilles mollassonnes quand la chaleur sévit, qui se redressent à la vitesse de l’éclair dès que mon arrosoir répand ses bienfaits dans leurs pots. L’héllebore dont les feuilles ont stagné des mois durant, sans donner le moindre signe de croissance ou de vie… Jusqu’à ce qu’un beau matin de janvier, je découvre un bouton violine à son pied, prêt à fleurir.
Cette philosophie du naturel, du lâcher-prise, de l’émerveillement pour les petites choses, c’est ce qui alimente mon inspiration. Chaque nouveau projet est l’occasion de partager cette vision, d’expliquer à mes clients l’intérêt et la beauté de chaque plante. Et c’est ce qui permet de créer des petits jardins verts naturels et résilients en pleine ville, qui continuent de s’épanouir au gré des saisons, des oublis d’arrosages et d’une météo de plus en plus imprévisible.